Les Lumières - Montesquieu : "De l’Esprit des lois" , ch. XV (1748)

Publié le 10 Janvier 2014

 

 

 

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  Jacques-Antoine Dassier (1715-1759) (d’après), portrait de Charles de Secondat, Baron de Montesquieu.Huile sur toile, vers 1728. 63x52 cm. Châteaux de Versailles et de Trianon, Versailles. © Photo RMN/© Droits réservés.

   

 

MONTESQUIEU, De l’Esprit des lois, ch. XV (1748)

 

Si j’avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais : Les peuples d’Europe ayant exterminé ceux de l’Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l’Afrique, pour s’en servir à défricher tant de terres. Le sucre serait trop cher, si l’on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves. Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu’il est presque impossible de les plaindre. On ne peut se mettre dans l’idée que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir. Il est si naturel de penser que c’est la couleur qui constitue l’essence de l’humanité, que les peuples d’Asie, qui font des eunuques, privent toujours les Noirs du rapport qu’ils ont avec nous d’une façon plus marquée. On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui, chez les Egyptiens, les meilleurs philosophes du monde, étaient d’une si grande conséquence, qu’ils faisaient mourir tous les hommes roux qui leur tombaient entre les mains. Une preuve que les nègres n’ont pas le sens commun, c’est qu’ils font plus de cas d’un collier de verre que de l’or, qui, chez les nations policées, est d’une si grande conséquence. Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes ; parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens. De petits esprits exagèrent trop l’injustice que l’on fait aux Africains. Car, si elle était telle qu’ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d’Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d’en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié ?

 

 

Questions

-Quelles sont les thèses en présence dans la première phrase ?

-Comment est soutenue ensuite la thèse de l’esclavagiste : quels sont les différents arguments employés à la défendre ? À quels domaines font-ils référence ?

 

- À l’aide des réponses aux questions,  essayez de composer le plan détaillé d’une lecture analytique de ce texte.

Vous organiserez ce plan en fonction de la question suivante : Quels moyens de contestation emploie ici l’essayiste ? Dans quels buts ?

 

 

La thèse de l’esclavagiste est explicitement exprimée dans la première phrase : « soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves ».

En réalité, qui parle ? Le pronom personnel « je » renvoie à l’auteur de l’essai L’Esprit des lois, Montesquieu. L’emploi du conditionnel (« Si j’avais (…), voici ce que je dirais ») et la confusion grammaticale des deux valeurs du conditionnel présent, entre le potentiel destiné à l’adversaire et l’irréel du présent à l’intention du lecteur, met à distance la thèse de l’esclavagiste :

 le plaidoyer* de l’esclavagiste constituera en fait le réquisitoire* du philosophe contre l’esclavagisme.

 L’ensemble du chapitre apparaît donc comme ironique : il correspond exactement à la définition de l’énoncé ironique qui est une forme d’expression consistant à feindre d’approuver les opinions d’un adversaire pour mieux montrer l’ineptie ou la cruauté de ses thèses. Arme offensive, l’ironie vise à se moquer des thèses et arguments que l’on désire réfuter. Simulant de valoriser ce discours, elle exprime en fait un

jugement dévalorisant.

Cependant, si la juxtaposition des mots « droit » et « esclaves » fait éclater l’absurdité de l’abus de pouvoir dans une forme d’humour à froid qui frôle le cynisme, l’emploi du pronom personnel « nous », qui renvoie autant à Montesquieu, qu’à l’esclavagiste et aux groupes sociaux qu’ils représentent (Montesquieu fréquente à Bordeaux des armateurs mêlés au commerce triangulaire), ainsi qu’ à la communauté des lecteurs de L’Esprit des lois, associé à l’emploi du passé-composé (« avons eu ») renvoyant à une situation historique qui a toujours des conséquences sur

le présent, révèlent que Montesquieu ne refuse pas toute responsabilité dans l’état

de fait qu’il veut dénoncer.

 

 

 

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Les Lumières :

 

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Emmanuel Kant, Qu’est-ce que les Lumières?(1784), Commentaires de Andrea Caloni, Martina Guglielmi, Antonella Innocenzio, David Leorati, Laura Tripaldi, sur proposition de Mme Veronica Ponzellini

 

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Rédigé par memoiresdeprof.over-blog.com

Publié dans #II D ESABAC

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